Hermann Hesse


1. [...] il était des doutes dont il suffisait de connaître l'existence ou la possibilité, pour en souffrir. (Le jeu des perles de verres)

2. Sur les chemins sans risques on n'envoie que les faibles. (Le jeu des perles de verres)

3. [...] un artiste qui fait oeuvre d'imagination évite les mathématiques pures et la logique non parce qu'il a décelé quelque chose en elles, ni parce qu'il trouve à redire, mais parce que d'instinct il est porté ailleurs. (Le jeu des perles de verres)

4. Chacun de nous n'est rien de plus qu'humain, rien de plus qu'un essai, une étape. Mais cette étape doit le conduire vers le lieu où se trouve la perfection, il doit tendre vers le centre et non vers la périphérie. Note cela: on doit être un logicien ou un grammairien rigoureux, et être en même temps plein de fantaisie et de musique. (Le jeu des perles de verres)

5. Quiconque dirige les forces les plus hautes de son désir vers le centre, vers l'être véritable, la perfection, paraîtra plus calme qu'un passionné, parce que la flamme de son ardeur ne sera pas toujours visible, parce que, par exemple dans une discussion, il ne criera ni ne gesticulera. Mais, je te le dis: il faut qu'il soit plein d'ardeur et de flamme! (Le jeu des perles de verres)

6.
-N'existe-t-il donc pas de vérité? N'y a-t-il donc pas une doctrine qui soit authentique et valable?
-La vérité existe, mon cher, mais la 'doctrine' que tu réclames, l'enseignement absolu qui confère la sagesse parfaite et unique, cela n'existe pas. Il ne faut pas non plus avoir le moins du monde la nostalgie d'un enseignement parfait, mon ami; c'est à te parfaire toi-même que tu dois tendre. La divinité est en toi, elle n'est pas dans les idées ni dans les livres. La vérité se vit, elle ne s'enseigne pas ex cathedra. (Le jeu des perles de verres)

7. Dès ses études à l'université, le médecin, le juriste, le technicien est prisonnier d'un cycle de cours rigide, qui se termine par une gamme d'examens. Quand il les a passés, il reçoit son diplôme et jouit alors de nouveau de la liberté apparente de s'adonner à sa profession. Mais il ne devient ainsi que l'esclave de puissances intérieures: il tombe sous la coupe du succès, de l'argent, de son ambition, de sa vanité, du charme que les gens lui trouvent ou ne lui trouvent pas. Il doit se soumettre à des choix, gagner de l'argent; il participe aux rivalités impitoyables des castes, des familles, des partis, des journaux. En compensation, il a toute licence d'avoir des succès et de la fortune, et de provoquer la haine des malheureux, à moins que ce ne soit l'inverse. (Le jeu des perles de verres)

8. Les hommes vraiment grands de l'histoire universelle ou bien ont méditer, ou bien ont trouvé sans s'en rendre compte la voie qui aboutit où nous mène la méditation. (Le jeu des perles de verres)

9. Que tu deviennes professeur, savant, ou musicien, aie le respect du 'sens', mais ne t'imagine pas qu'il s'enseigne. (Le jeu des perles de verres)

14. L'enjeu de l'éveil, c'était, semblait-il, non la vérité et la connaissance, mais la réalité, le fait de la vivre et de l'affronter. L'éveil ne vous faisait pas pénétrer près du noyau des choses, plus près de la vérité. Ce qu'on saisissait, ce qu'on accomplissait ou qu'on subissait dans cette opération, ce n'était que la prise de position du moi vis-à-vis de l'état momentané de ces choses. On ne découvrait pas des lois, mais des décisions, on ne pénétrait pas dans le coeur du monde, mais dans le coeur de sa propre personne. C'était aussi pour cela que ce qu'on connaissait alors était si peu communicable, si singulièrement rebelle à la parole et à la formulation. Il semblait qu'exprimer ces régions de la vie ne fît pas partie des objectifs de langage. (Le jeu des perles de verres)

15. Mais il avait aussi appris qu'un homme de pensée, qui cherche n'a pas le droit de perdre l'amour, qu'il doit affronter les désires et les folies des autres, sans orgueil, mais sans le droit non plus de se laisser dominer par eux, qu'il n'y a pas entre la sage et le charlatan, le prêtre et le jongleur, entre le frère secourable et le profiteur parasite, et qu'au fond les gens préfèrent infiniment un escroc, se faire exploiter par un crieur de foire plutôt qu'accepter sans détours un secours généreusement offert. (Le faiseur de pluie)

17. [...] les professeurs, en présences de certains talents éclatants, éprouvent de la répugnance et de l'horreur. Tout élève de ce genre fausse le sens entier et l'utilité de l'enseignement. Toute promotion accordée à un disciple capable de briller, mais non de servir, est au fond une atteinte à l'idée de service, une manière de trahir l'esprit. (Le faiseur de pluie)

19. Les choses se déforment facilement quand on regarde en arrière. (Biographie Indienne)

20. Lorsqu'on est libre, ce n'est pas difficile de choisir pour soi-même ce qu'il y a de meilleur dans la vie. Mais qui donc a le choix? (La scierie du Marbrier)

21. Parler est le plus sûr moyen de tout compromettre à force de platitude et d'abstraction. Vous ne cherchez pas du tout à me comprendre ni à vous comprendre vous-même! Votre seul souci est de vous tranquilliser par rapport à ce que vous avez pu deviner à mon sujet. Vous avez hâte de savoir à quoi vous en tenir, sur moi et sur l'impression que vous avez de moi, afin d'attacher à mon personnage l'étiquette qui vous permettra de la classer. Vous essayez de voir si cela joue avec l'indication criminel ou malade mental. Vous désirez connaître mon nom et mon état. Chère mademoiselle, on ne peut que se fourvoyer en suivant ce chemin-là; il vous éloigne de toute compréhension véritable. Un mauvais produit de remplacement: voilà ce que vous cherchez, au lieu de la vraie compréhension, qui est le devoir de tout être humain. Ce devoir, vous l'esquivez. (Klein et Wagner)

22. J'ignore comment vous vivez, mais vous vivez comme j'ai vécu moi-même et comme tout le monde vit, le plus souvent dans le ténèbres et à côté de soi-même, toujours esclave d'un but, d'un devoir ou d'un projet. Ainsi vivent presque tous les hommes et le monde entier périra de cette maladie. (Klein et Wagner)

23. Le bonheur, ce n'est pas d'être aimé. Chaque être humain a de l'amour pour lui-même, et pourtant, ils sont des milliers à vivre une existence de damnée. Non, être aimé ne donne pas le bonheur. Mais aimer, ça c'est le bonheur! (Klein et Wagner)

27. Dans les écoles, on apprend des quantités de dates de batailles ridicules, des noms d'anciens rois tout aussi absurdes, on lit chaque jour des articles sur les impôts et sur la question des Balkans, mais, de l'homme, on ne sait rien! (Klein et Wagner)

35. Vivre et mourir est une source de félicité dès l'instant où l'on affronte seul l'univers. De l'extérieur, il ne faut attendre nul apaisement. Il n'y a point de repos dans les cimetières, et pas davantage en Dieu; aucune magie ne pourrait briser la chaîne infinie des naissances, le rythme de la respiration divine. Mais il existe une autre paix, que l'on ne trouve qu'en soi-même: se laisser aller, ne pas se défendre, accepter la mort, assumer l'existence. (Klein et Wagner)

36. Le temps était l'une de ses [à l'esprit] inventions. Une trouvaille remarquable, un instrument de haute précision pour susciter en nous des tourments nouveaux, pour dissocier le monde et le rendre plus inextricable. Seul le temps, cette invention démente, séparait l'homme de tout ce qu'il convoitait. C'était là un de ces appuis, une de ces béquilles dont il fallait avant tout se défaire si l'on voulait être libre. (Klein et Wagner)

40. Ah! l'amour n'est pas fait pour nous rendre heureux. Je crois qu'il est fait pour nous révéler dans quelle mesure nous avons la force de souffrir et de supporter. (Peter Camenzind)

45. L'homme se distingue avant tout du reste de la nature par une couche glissante et gélatineuse de mensonge qui l'enveloppe et le protège. (Peter Camenzind)

46. Il en va ainsi de l'amour. Il apporte des douleurs... Mais qu'importe que nous souffrions ou non? Pourvu que l'on vive ardemment avec l'être aimé, que l'on sente le lien étroit et vivant qui nous unit à tout ce qui vit, pourvu que la tendresse ne s'éteigne pas! (Peter Camenzind)

52. Obéir, c'est comme boire et manger: rien ne vaut ça quand on en manque depuis longtemps. (Le loup des steppes)

54. Le sérieux naît [...] d'une surestimation du temps. (Le loup des steppes)

55. Tout humour un peu élevé commence par cesser de prendre au sérieux sa propre personne. (Le loup des steppes)

56. Par le fait qu'une mère m'a mis au monde, je suis fautif, je suis condamné à vivre, je dois appartenir à un État, être soldat, tuer, payer des impôts pour des armements. Et, en ce moment, la faute de la vie m'a amené de nouveau, comme jadis en temps de guerre, au devoir de tuer. Mais, cette fois, je ne tue pas à contrecoeur, je prends conscience de la faute, et, si ce monde stupide et abruti vole en miettes, je ne proteste pas, je fais de mon mieux pour l'y aider et je péris volontiers avec. (Le loup des steppes)

64. Analyser le monde, l'expliquer, le mépriser, cela peut être l'affaire des grands penseurs. Mais pour moi il n'y a qu'une chose qui importe, c'est de pouvoir l'aimer, de ne pas le mépriser, de ne le point haïr tout en ne me haïssant pas moi-même, de pouvoir unir dans mon amour, dans mon admiration et dans mon respect, tous les êtres de la terre sans m'en exclure. (Siddhartha)

65. Et faire de la science, ce n'est rien d'autre que de s'acharner à découvrir des différences. On ne saurait mieux définir son essence. Pour nous, hommes de science, rien de plus important que d'établir des distinctions; la science, c'est l'art des distinctions. Ainsi, découvrir sur chaque homme les caractères qui le distinguent des autres, c'est apprendre à le connaître. (Narcisse et Goldmund)


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© 1996, V.G. Chapin